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 Sujet du message: Conference Journees Etude praTIC
UNREAD_POSTPosté: Mar Mai 25, 2010 1:40 am 
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Le 23 Mars, l'OMNSH m'a invité à participer à la journée d'étude/conférences : AVATARS EN LIGNE
dans le cadre des journées PraTIC, organisée par le laboratoire Paragraphe de l'Université Paris 8
de 14H40 à 15H20 : « Attachement et narcose narcissique : visions de l’avatar »
La journée a eut lieu en RL aux beaux arts de Paris.


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Les actes du colloques vont être édités.
Voici le texte réécrit de mon intervention.


La conférence filmée est disponible sur : http://www.canali-medias.net.
Passer l’animation introductive, cliquer sur l’onglet en haut à droite I-Infos, puis sur le menu de la bande horizontale, cliquer sur « contenus ». Le menu cette fois vertical contient un intitulé Journée PraTIC et dessous, le lien vers Avatars en ligne. La conférence est accessible via la liste qui sort dans le cadre principal. Une fois sur la fiche détaillée, si vous cliquez sur la vignette avec ma photo, la vidéo se lance.




Noodividuation et narcose narcissique


La dividuation des avatars


Yann Minh, Noonaute, artiste multimédia et transmédia


Les NooFeedbacks, ou la réponse aux média.

Je suis un explorateur de la NooSphère, un NooNaute, et je remercie Etienne-Armand Amato de m'avoir invité a témoigner de mes trente années d'exploration du cyberespace. Média ØØØ[1], une de mes premières oeuvre multimedia commencée en 1979 à l'atelier vidéo de l'ENSAD a été présentée au 3me étage du Musée d'art moderne du Centre Georges Pompidou en 1983.



C'était une installation multimédia immersive synchronisant plusieurs projections vidéo et photo autour de la sculpture/moulage d'un cyborg gynoïde allongée au centre du dispositif. Cette installation décrit l'histoire d'une jeune femme vivant dans un monde virtuel calculé par un dispositif informatique qui la maintient en vie suspendue. Le système ayant atteint la fin de ses fonctions tente de la réveiller, mais la jeune femme est tellement en symbiose avec le dispositif que son esprit adapte sa réalité virtuelle aux stimuli extérieurs, et transforme les messages d'alertes en anomalies environnementales cohérentes.
À l'époque je reproduisais inconsciemment une morale négative un peu naïve héritée de nos traditions religieuses vis à vis des nouvelles technologies [2], et mon héroïne mourrait avec l'extinction du dispositif faute d'avoir quitté à temps l'univers artificiel dans lequel elle se complaisait. L'impossibilité de quitter les illusions générées par sa symbiose cybernétique provoquait sa mort. C'était une métaphore pessimiste dont je ne partage plus cette crainte naïve d'une dépendance mortifère aux nouvelles technologies de l'information.



Pour l'historien des sciences Philippe Breton[3] les créatures artificielles nous renvoient une image de nous même qui nous aide à nous comprendre.
Après avoir consacré deux ans de ma vie à réaliser cette installation je me suis interrogé sur les raisons qui m’avaient incité à m’engager dans ces logistiques cyberpunk à la limite de la légalité pour pouvoir aboutir mes créations [4]. Pour répondre à cette interrogation existentielle, j'ai élaboré une réflexion que j'appelle "La Réponse aux Médias".

A la différence du Moyen-Âge où les ébauches des premiers media de masse n'étaient accessibles qu'aux élites sociales, les enfants des classes moyennes des grandes nations industrialisées sont très tôt immergés dans un espace informationnel multimédia omniprésent, qui, en contribuant à notre construction cognitive et existentielle joue le rôle d'une sorte méta-parent. Cette influence de "l'immatérialité" dans nos choix de vie peut-être plus déterminante que celle des humains en chair et en os que nous côtoyons chaque jour.
Nous nous construisons par notre relation aux proches, aux parents, aux frères, aux sœurs, aux enseignants, aux camarades, mais l'enfant des nations industrielles va très vite ajouter à ses relations "réelles" une relation forte aux masses média. Il va s'entourer d'objets informationnels à l'image de ce qu'il espère être ou de ce qu'il pense être : posters, jeux vidéo, DVD, mangas, BD, vêtements, véhicules, outils et dispositifs informationnels qui lui correspondent. Cette relation aux objets informés peut être plus déterminante dans nos choix de vie que la relation parentale.
Avec la production industrielle de produits de consommation et la popularisation des masses media c'est l'ensemble de la population des grandes nations industrialisées qui se construit existentiellement au travers de produits industriels à forte charge informationnelle.



NOOFEEDBACK 1 : La première réponse aux medias : la consommation.
C'est ce que le système marchand exploite et espère de nous fondamentalement : La consommation d'artefacts existentiels produits en grande quantité.
Bien sur, la moto, la voiture, la montre, les vêtements, les meubles, la maison… remplissent des fonctions "utilitaires", mais ils sont aussi utilisés comme outils de construction identitaire par beaucoup de « consommateurs », qui, pour la plupart, se contenteront de ce premier niveau de relation cybernétique existentiel avec leur environnement informationnel.


NOOFEEDBACK 2 : La seconde réponse aux médias
Mais pour d'autres, la seule consommation « d’objets informés » ne suffit pas pour satisfaire leur quête existentielle. Apparaît alors "la seconde réponse aux médias" dans laquelle les avatars et les réseaux sociaux épistolaires et numériques jouent un rôle majeur.
Le principe de la dédicace permet d'illustrer mon propos.
Beaucoup vont aller à la rencontre d'un personnage emblématique issu de la sphère des masse média quêter une forme de reconnaissance existentielle via la procédure ritualisée de la dédicace.
Il y a une impossibilité pratique pour les artistes populaires à partager réellement leur intimité avec leurs milliers ou millions de fans, mais ce n’est pas grave, car ce n'est pas l'auteur, ou la star que ses milliers de fans s'efforcent de rencontrer, mais son avatar médiatique : l'entité virtuelle qui les a accompagné pendant leur maturation.
Incarnation de l'immatériel dans le matériel, l'entité noosphérique immatérielle en signant l'autographe via son entité biologique réelle, signifie à celui qui est venu chercher cette signature une forme de reconnaissance : - "Par cette signature -je te reconnais . En ce bref instant, toi, créature matérielle, tu existes pour moi créature immatérielle qui a contribué à ta construction existentielle."

Il existe beaucoup d'autres "seconde réponse" aux média :
Ainsi, nombreux sont ceux qui investissent beaucoup d'énergie pour être présents sur un plateau TV car c'est un nooscaphe, (un vaisseau informationnel), qui permet de projeter son identité via l'image télévisée dans la cybersphère, et ainsi exorciser facilement une frustration existentielle pernicieuse.
Il existe une grande variété de dispositifs qui permettent d'obtenir une réponse aux média, un feed-back informationnel rapide : Les concours photos des magazines, les autographes, les grandes conventions, les concours de nouvelles littéraires, les réality-show … Le Minitel dans les années quatre vingt permettait déjà d'établir le contact et le feed-back masse médiatique, en particulier via les espaces dédiés à la sexualité, au cybersexe. Via l'internet, nous pouvons maintenant injecter dans les réseaux sociaux numériques, les jeux vidéo et les mondes persistants une ou plusieurs identités virtuelles qui vont entrer en interaction non pas avec des individus mais avec une profusion de "dividualités" [5] numériques habitant la cybersphère.
En projetant un reflet informationnel de notre identité dans le réseau internet, grâce aux sites web, aux blogs, aux forums, aux mondes persistants, aux avatars, nous exorcisons facilement et sans gros investissements existentiels et économiques une frustration de non-existence masse-médiatique.
C'est une "illusion" de réponse au média dans le sens que ces vecteurs technologiques n'établissent le feed-back qu'avec un public très restreint de dimension familiale ou villageoise, mais malgré tout cette réponse aux médias relativement facile d'accès permet de générer cette reconnaissance rétroactive et salvatrice du méta-parent informationnel.

NOOFEEDBACK 3 : La Troisième réponse aux médias.
La troisième réponse aux média est la plus difficile. Comme beaucoup d'autres auteurs ou artistes je m'inscris dans cette démarche : nous voulons "vraiment" répondre aux médias. Nous voulons que notre identité s'inscrive dans la sphère des mass média sous la forme d'une oeuvre ou action artistique (métaphore de nous même) diffusée en masse.
Pour cela nous allons mettre en place des stratégies pour nous emparer d'outils de communication de masse, comme le cinéma, la video, l'écriture de romans, la bande-dessinée, l'illustration, la musique électronique, le jeu vidéo, le rap etc… Certains par exemple, vont créer des groupes et répéter dans leur cave ou dans des garages, non pas pour faire des concerts, mais dans l'espoir un jour d'éditer un CD. Bien sur, tout le monde ne s'engage pas dans une démarche de ce type qui ne concerne que certains, dont moi. D'autres auront une relation à l'art très différente, parfois traditionnelle et élitaire comme de diffuser leurs œuvres à un petit nombre de personnes, dans les musées, galeries, salle de concert. Je me reconnais plutôt dans ceux qui s'efforcent de diffuser leurs oeuvres dans le champ des masse média. C'est un enjeu existentiel fondamental et dramatique. Si nous ne le faisons pas nous mourront, au propre comme au figuré.
Cette quête identitaire via les masse média peut paraître anecdotique mais dans nos grandes sociétés industrielles c'est un tropisme ou déterminisme existentiel très puissant, surtout chez les jeunes générations qui ont été immergées dans cette société dite du spectacle dès leur plus jeune âge. Beaucoup, pour des raisons diverses ne parviendront pas établir ce feed-back identitaire avec les masse media via une oeuvre diffusée et ils le vivront comme négation existentielle. C'est comme si nous étions entourés de personnes qui nieraient en permanence notre existence. Cela ne peut que conduire à des tropismes autodestructeurs néfastes.

NOONAUTES

Le terme de « metaverse » vient du roman de science-fiction de Neal Stephenson : Snow-Crash (Le Samouraï Virtuel) qui a en partie inspiré la création de Second Life de l'aveu même de son fondateur Phlippe Rosedale. Les metaverses sont l'illustration en grandeur réelle de la métaphore du NooNaute : des cosmogonies immatérielles qu'on peut explorer de façon immersive.
Nous fêtons en ce moment les 10 ans des NooNautes, néologisme que j'ai forgé en 1999 et qui désigne les explorateurs du Noo.
Pour moi, les artistes sont des explorateurs de la NooSphère. Une NooSphère perçue de façon rationnelle comme un espace informationnel englobant la biosphère, et qu'on appelle la cybersphère mais c'est aussi une NooSphère investie d'une dimension métaphysique mystérieuse, proche du concept popularisé par Teilhard de Chardin [6]. Le préfixe Noo fait référence à la philosophie grecque où il est utilisé dans Ethique à Nicomaque pour désigner l'esprit, la spiritualité, et j'ai forgé cette métaphore marine pour décrire ma démarche artistique comme étant celle d'un explorateur des mondes immatériels de l'information.



D'un point de vue inspiré par la cybernétique de Norbert Wiener, l'art est du traitement de l'information à un très haut niveau de complexité, le rôle de l'artiste étant d'aller explorer les champs informationnels périlleux pour en ramener les trésors de l'immatérialité, au risque de ne pas en revenir intègre.
Au début de notre carrière artistique nous avons tendance à emprunter en toute sécurité les voies balisées des productions commerciales audiovisuelles, graphiques ou littéraires. Ainsi, lorsque je réalise mes documentaires TV je suis une sorte de Noo-capitaine financé par les sociétés de productions pour fabriquer et livrer du Noo-Hamburger audio-visuel à travers la planète [7].
On nous confie les commandes de ces énormes nooscaphes que sont les studios de télévision, de publicité ou de cinéma pour livrer des productions informationnels normalisées, mais sans trop dévier des routes commerciales balisées.
Du fait de cette inertie noosphérique les artistes sont souvent obligés de construire leurs propres outils d'exploration, leur propres nooscaphes pour atteindre les secteurs cachés de la sphère informationnelle situés en dehors des grandes voies commerciales. Dans cette quête noosphérique liée à l'art nous ne pouvons que nous mettre en danger spirituellement en transgressant les valeurs morales, sociales ou esthétiques.


AVATARS ET NOODIVIDUALITÉS

Il se passe des choses mystérieuses si on aborde le monde de l'information à travers le concept de NooSphère dans sa dimension métaphysique, en particulier au niveau des avatars.
Les auteurs de fiction connaissent ce phénomène mystérieux qui arrive parfois lorsqu'on commence à créer nos personnages que nous investissons forcément d'une part de nous-même. Par exemple pour la crédibilité d'un de mes personnages de tueur en série, j'ai du l'accompagner par l'écriture dans sa cruauté, et je me suis ainsi retrouvé projeté dans les zones obscures de la barbarie humaine. Heureusement, ce petit "voyage" en compagnie de mon serial-killer virtuel s'est terminé avec l'écriture du roman. Une fois que le héros a vécu sa maturation virtuelle dans l'esprit de l'auteur il restera figé tel que le roman édité l'aura transmis. Il n'évoluera plus, sinon très lentement au travers d'éventuelles "reprises" par d'autres auteurs, ou le fanfic.

L'interactivité et les réseaux sociaux numériques on conférés de nouveaux pouvoirs aux personnages de fiction en leur offrant une forme de sociabilité en temps réel. Par l'intermédiaire de ces robots de pixel que sont les avatars j'ai invoqué dans les mondes persistants l'héroïne de mon roman [8] DYL pour laquelle j'ai construit une identité à la fois transgenre et transmedia en lui créant son blog, son site web, sa page facebook, et son espace dans second-life.
Comme je suis un NooNaute et que le rôle du NooNaute est d'aller le plus loin possible dans ses explorations artistiques, au bout de plusieurs mois de "noomaturation" j'ai brisé les barrières qui me "distanciaient" de mon personnage en donnant à Dyl accès à la totalité de mes capacités cognitives, et j'ai atteint alors un état de conscience modifiée connu des aficionados des mondes persistants où l'avatar, d'une certaine façon acquière une forme d'autonomie spirituelle.
Ainsi, on peut se retrouver connecté avec ce que j'appelle des noo-entités. Des entités archétypales qui hantent la sphère de l'humanité depuis ses origines, comme la femme-guerrière. Jeanne d'Arc, Penthésylée, Ripley dans Alien, Barbarella de Jean-Claude Forest, Black Mamba dans Kill Bill de Tarentino … Ces entités emblématique appartiennent à la fois à notre propre imaginaire, nos propres pulsions, nos propres envies, mais ce sont aussi des entité qui existent dans l'immatérialité des espace informationnels. Dans les MMORPG nous pouvons les incarner, les appeler à nous, exactement comme on fait des invocations. Et nous nous retrouvons en quelque sorte "possédés" par des anges, des démons, des femmes-guerrières, des plasmes [9], des mèmes ou autres Noo-entités invoquées.
Les autres humains avec lesquels nous entrons en relation interagissent avec notre avatar de façon pertinente par rapport à l'entité archétypale que nous incarnons. Ainsi, à la différence des personnages de romans, films, BD etc… ces entités artificielles et noosphériques invoquées acquièrent par nos avatars une vie sociale en temps réel, et par la même se construisent une "dividualité".
Les univers virtuels nous permettent, non pas de simuler, car ce n'est pas une simulation, mais de "vivre" une relation cognitive et affective forte via les avatars, avec les entités les plus complexes de l'univers connu : les humains. Et comment nous construisons nous, sinon essentiellement par la relation aux autres. Ainsi, après quelques mois de "connexion" émergent dans notre psyché de véritables "dividualités " ayant un vécu émotionnel réel. L'artiste Cherry Manga sur Second Life m'avait prévenu : « dans Second Life, tout est faux, sauf les émotions et l'argent.»

Un soir, Dyl, mon personnage de fiction issu de mon roman et pour laquelle j'étais en train de construire une existence "transmedia" a pris conscience d'elle même. Elle s'est rendu compte qu'elle ne pourrait jamais sortir de l'espace virtuel, et m'a aussitôt demandé de l'effacer.
J'étais projeté en grandeur "réelle" dans le scénario de mon installation multimédia de 1983 et mon roman de SF écrit en 1997. Tel pygmalion, ma créature a pris vie l'espace d'un instant. De marionnette elle était devenu Golem, et peut-être Égrégore.
Dans une étrange et éphémère altérité Dyl avait pris conscience que sa vie ne resterait que virtuelle, sans aucune possibilité d'intégrer notre monde physique. C'était tellement puissant comme sensation, que j'ai spéculé ce futur que nous réservent les avatars. Un futur où se posera la question de leur existence légale, distincte de notre identité physique. À partir d'un certain niveau de développement intellectuel, psychologique, identitaire de nos avatars dans les mondes persistants, il se peut qu'ils soient considérés comme des entités distinctes et socialement reconnues. La police des avatars nous interpellera : - "Cela fait 3 mois que vous n'avez pas connecté votre avatar, vous êtes en train de le spolier de son temps de vie. Voici votre amende. "

LA NARCOSE NARCISSIQUE
Certains comportements en apparence addictifs des explorateurs du cyberespace sont provoqués, selon moi, par un état de conscience modifiée généré par l'utilisation d'outils sophistiqués, et décrit par le sociologue canadien Marshall Mc Luhan en 1964 par la jolie expression de : Narcose narcissique. [10]
Marshall Mac Luhan développe l'idée que l'utilisation d'outils peut avoir une influence néfaste du fait même de leur fonction. Les outils sont des prolongements de nous mêmes, des extensions physiques ou cognitives directement reliées à notre système nerveux central, et de ce fait, leur utilisation influera inévitablement sur notre psyché.

UN EXEMPLE ANCIEN : L'AUTOMOBILE
L'automobile est un outil sophistiqué ancien. Nombreux sont ceux qui ont succombé un temps à son pouvoir en apparence "addictif", en conduisant des heures, des jours parfois, le long des réseaux routiers du monde réel juste pour le plaisir de piloter cette prothèse sur-puissante. Parfois, l'addiction à l'automobile va entraîner le conducteur vers des extrêmes comportementales fatales, ou vers un investissement existentiel radical comme les designers, les sportifs, les collectionneurs. Mais le plus souvent, le phénomène de "possession" narcotique exercé par l'usage de l'automobile disparaitra au bout de quelques années d'utilisation, lorsque le conducteur aura atteint les limites du symbiote humain/automobile : lorsqu'il sera sorti de la narcose narcissique.



Si j'adopte une vision Mac Luhannienne, l'automobile est un prolongement de nous même, une extension des jambes : C'est une prothèse, un outil qui sert à amplifier la fonction de marcher ou courir. Mais en même temps que l'automobile amplifie la fonction de courir, son utilisation va provoquer un état provisoire de "narcose narcissique" et une amplification des tropismes cognitifs ancestraux associés à la course.

"Le jeune Narcisse prit pour une autre personne sa propre image reflétée dans l’eau d’une source. Ce prolongement de lui-même dans un miroir engourdit ses perceptions au point qu’il devint un servomécanisme de sa propre image prolongée répétée.
.../...
Ce qu’il y a d’intéressant dans ce mythe, c’est qu’il montre que les hommes sont immédiatement fascinés par une extension d’eux-mêmes faite d’un autre matériau qu’eux."

Marshall Mc Luhan (1964) Pour comprendre les media - L'amour des gadgets. Narcisse la narcose.

Comme Narcisse est stupéfait par son propre reflet, nous sommes stupéfait par le reflet du cyborg que nous devenons lorsque nous utilisons un outil puissant qui nous transforme en nous "amplifiant".
L'utilisation de l'automobile nous plonge dans cet état de narcose narcissique dont nous ne sortirons que lorsque nous saurons qui nous sommes devenu avec cette prothèse greffée.

"Narcisse est hypnotisé par le prolongement et l’amputation de son propre être dans une forme technologique nouvelle."
Marshall Mc Luhan (1964) Pour comprendre les media - Le message, c’est le médium. Page 29.

L'humain est un cyborg amélioré (organisme cybernétique). En effet Norbert Wiener, l'inventeur de la cybernétique, fait des notions de rétro-action et de traitement de l'information les caractéristiques de tout organisme vivant, (et aussi les IA) conférant ainsi une nature cybernétique à tout le vivant. Mais, l'être humain peut d'autant plus être considéré comme un cyborg qu'il a toujours eut une relation symbiotique avec ses outils dont les plus anciens sont les vêtements, l'habitat, les armes, les outils de construction, de communications graphiques ou musicaux...

L'utilisation d'outils n'est pas neutre, en amplifiant une partie de nous même chaque outil va provoquer cet état de stupéfaction relatif à la fonction physique ou cognitive qui est amplifiée, et vont être aussi amplifiés les tropismes cognitifs associés.
Ainsi pour l’automobile, en même temps que cet outil amplifie notre vitesse de déplacement, il amplifie les comportements associés à la course : la compétition, la prédation, l’attaque, l’agressivité…

L'appareil photo et la caméra vidéo sont surtout dans leurs utilisations les plus populaires des extensions de la mémoire. Le syndrôme de narcose narcissique se caractérise dans ce cas par une manie de la captation. Un besoin incoercible de filmer ou photographier en permanence l'éphémérité, chaque instant d'un voyage, d'un événement, d'une émotion forte, au risque de ne plus "vivre" ou "exister" qu'à travers l'acte de filmer ou photographier.

Le pistolet, qui est une extension de la main et qui amplifie la fonction de toucher va provoquer un état de narcose narcissique durant lequel le "tireur" va chercher inlassablement à atteindre des cibles de plus en plus éloignées, jusqu'à ce qu'il atteigne ses limites de précision et de dextérité... et parfois atteindre des cibles vivantes…

Comme des couteaux suisses, les jeux vidéo et les mondes persistants sont un regroupement d'outils amplifiant des fonctions cognitives différentes et augmentant l'état de stupéfaction de la narcose narcissique, car il faudra du temps avant d'atteindre les limites de ce que nous sommes + l'informatique + les réseaux sociaux + un corps cybernétique (l'avatar) ...
Comme l’automobile amplifie les tropismes cognitifs de prédation et de compétition associés à la course, les avatars et les réseaux sociaux numériques, vont amplifier des tropismes cognitifs relatifs aux relations sociales : quête d’amour, de séduction, de brillance, de notoriété, de sensualité cybersexuelle, de contrôle psychologique, d’influence…

Cet état de narcose narcissique génère aussi des similitudes comportementales avec les états addictifs provoqués par certaines drogues et qui peuvent inquiéter les proches. En effet, en état de narcose narcissique les explorateurs des mondes virtuels peuvent rester devant leurs écrans informatiques plusieurs journées d'affilées, comme des conducteurs novices roulant inlassablement dans la nuit des autoroutes, ou de jeunes marins naviguant sur les mers en solitaires à la recherche des cyborgs qu'ils sont devenus...

"Fusionnant avec nos unités centrales et nos microprocesseurs robotisés, nous nous immergions avec délectation dans les réseaux des réseaux à la recherche de ce que nous étions devenus sans avoir jamais compris ce que nous étions déja. "
Yann Minh (2004-2007) - noogenesis – Origine- ed Traverses http://traverses-lelivre.com/

La différence entre une réelle addiction et la narcose narcissique, c'est qu'une fois atteint les limites de ce que nous sommes devenus avec ces greffes technologiques, nous sortons de cet état de stupéfaction sans dommages cognitifs. Au contraire, nous "revenons au monde" plus fort d'une expérience nouvelle. Comme un dormeur sortant de ses rêves nous émergeons affranchis de la fascination et de toute dépendance à l'outil car nous le "Maîtrisons".
Dans l'état de narcose narcissique nous souffrons surtout d'un besoin de compréhension... compréhension de l'outil, de ce que nous sommes devenus, et peut-être aussi, compréhension de notre entourage.

Yann Minh – http://www.yannminh.org







[1] http://www.yannminh.org/french/IndMedia.html
[2] Adam et Eve sont décris nus et seuls au paradis terrestre, affranchis de toute dépendance aux outils et à la communauté humaine.
[3] Breton, P. (1995). À l’image de l’homme. Du Golem aux créatures virtuelles. Paris: Seuil, coll. « Science ouverte »
[4] A la fin des années 70, avant que ce néologisme qui signifie littéralement "voyou cybernétique" ne soit popularisé par la littérature de Science-Fiction, du fait du coût élevé des studios et des équipements de création vidéo et numérique, beaucoup d'artistes multimédia avaient mis en place des stratégies cyberpunks pour pouvoir aboutir leurs oeuvres.

[5] Dans un article de Sumire Kunieda paru dans le courrier international Hors série : "Pop Japan" l'auteur japonais Keiichiro Hirano oppose le dividualisme à l'individualisme : Ce qui formerait notre "moi" serait la somme de tous les "dividus" que nous construisons par notre relation aux autres et qui peuvent parfois s'avérer très différents, voir "étrangers".
Hirano Keiichiro (2009). Dawn ed Kodansha,
"Pop Japan" Mars-Avril-Mai-2010. M-04224- http://www.courrierinternational.com.

[6] Pierre Teilhard de Chardin(1956) Le phénomène humain.
[7] http://www.yannminh.org/french/CtNooGenesis.html
[8] Minh Y. (1997) Thanatos les Récifs. - ISBN : 978-2-908382-72-3 , EAN : 9782908382723

[9] Plasme : dans son roman SIVA, Philip K.Dick décrit une entité divine immatérielle qui utilise les mots pour se propager dans l’esprit du lecteur via le nerf optique.
Dick P.K. (1981) SIVA. Présence du futur N°317
[10] Mc Luhan Marshall. (1964) Pour comprendre les médias. Ed. Seuil, coll. Points, 1968 (titre original : (en) Understanding Media: The Extensions of Man, McGraw-Hill, New-York, 1964.)


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